Jean-Michel WOULKOFF, Président de l’Unsfa, Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes est intervenu au Club de l’OURS sur le thème «Influence de la pénurie des matériaux sur l’acte de construire» |
Sujet d’actualité et nous avons pu le voir dans les déclarations des ministres de l’économie, du logement et des PME, la pénurie des matériaux qui nous touche actuellement est un vaste sujet qui englobe tout à la fois :
- . la conception des bâtiments par le choix des produits et des prescriptions qu’en font les concepteurs
- . la construction neuve par la mise en œuvre de ces mêmes matériaux,
- . la réhabilitation et la rénovation énergétique.
- De tous temps les sociétés humaines ont construits avec les ressources naturelles présentes sur leur territoire. Nos ancêtres ne connaissent pas le bio-sourcés ou le bio-géolocalisés mais ils l’appliquaient à la lettre, ce n’est pas un découverte mais une évidence.
Les montagnards utilisent le bois et le rondin… l’ardoise est utilisée en Anjou depuis des centaines d’années pour les couvertures, les Dogon au Mali construisent en terre crue et on pourrait ainsi citer mille exemples de construction avec des matériaux bio sourcés et géolocalisés.
Et puis à partir de 1850, avec la révolution industrielle, le développement des échanges et des transports, la fabrication et la diffusion des matériaux sont devenus mondiaux.
La structuration de l’industrie, la recherche du meilleur coût de production à conduit à délocaliser, à produire moins cher ailleurs et à transporter par voie maritime ou terrestre les produits du bâtiments.
Les ports de fret maritime, Hambourg, Shangaï, Rotterdam…les ports pétroliers et gaziers du Moyen Orient sont devenus les nouvelles portes du monde, ce sont des lieux de transit , d’échanges, des hubs de transport des matières et des produits.
Ces échanges sont corrélés à une mondialisation des produits des matières premières, ils sont cotés sur des marchés mondiaux, ils ont des indices et des variations propres.
Avec la fluctuation des cours de bourse les prix des matières premières se négocient en continu et ils ont donc une certaine volatilité, souvent liés à des problèmes géopolitique : pétrole, gaz et donc les dérivés plastique, PVC, polyuréthane pour ne citer qu’eux ou bois exportés par exemple d’Afrique ou d’Asie.
Du fait de cette volatilité, les portes-containers géants qui sillonnent les mers, les méthaniers et les pétroliers changent de route et se réorientent en fonction du trading et des variations des cours de bourse des matières premières pour aller vers tel ou tel port et à destination de tel ou tel client final qui à fait le meilleur trade et ce au dernier moment.
En France comme dans tous les autres pays du monde, vu que ces marchés sont mondiaux, ce fonctionnement était celui rêvé et vécu par nos industriels, négociants, détaillants, prescripteurs, et ce, jusqu’au ce fameux mardi 17 Mars 2020 ou notre Président nous à demander de rentrer chez nous.
Là, stupéfaction tout s’arrête : administration, industrie, négoce, commerce, chantiers, études…
Le 24 mars 2020 les ordonnances gouvernementales suspendent pour deux mois les délais d’instruction des Permis de Construire et prorogent de facto les délais de recours des tiers.
Toute la filière du bâtiment c’est émus de cela, de la FFB en passant par la CAPEB, de l’UNSFA en passant par le CINOV et l’UNTEC.
Nous avons tous prédit que ce décalage engendrerait une situation catastrophique pour le bâtiment, à savoir un décalage important de facturation et de travail pour toute la filière. Nous l’avons estimé ce décalage à près de 20 à 25% de nos CA. Cela représente pour les travaux uniquement gérés par les architectes, la modique somme de 20 Milliards de travaux de décalage de 2020 à 2021.
Mais personne n’a simplement imaginé que l’industrie serait impactée et que cela engendrerait un trou d’air dans la production industrielle des matériaux de construction.
Pour ce qui ont connu la guerre du golfe, le 17 janvier 1991, démarrait l’invasion du Koweït. Là aussi surprise, stupéfaction et sidération du monde entier.
l’année 1991 a vu stoppé net tous les investissements mondiaux, et l’économie chutait avec une baisse de près de 30% de l’investissement.
Là aussi ce n’est que lorsque l’histoire est finie que nous savons la raconter…
Ce qui s’est donc passé en Mars 2020 est similaire sur le plan de la production des matériaux de construction.
Rentrez chez vous, sécurisez les chantiers, arrêtez la production, faite du télétravail et cela reprendra bientôt…mais soyez rassurés, on ne sait pas quand….
Cela à fait partie des injonctions contradictoires que nous avons tous vécus.
Et notre monde va vivre en apnée durant 2 mois et demi.
A partir de là c’est le bazar total.
Avec le recul, s’arrêter certes cela ne fut pas si compliqué même si les mesures, les protocoles ont mis tu temps à sortir. Même si il à fallu mettre en place des mesures de télétravail, de reporting, de nouvelles organisations et de rationalisation des procédures, globalement toute la société à pu s’arrêter. Certains plus que d’autres d’ailleurs…
Un an après cette arrêt brutal de toutes les productions nous nous rendons compte que le fondement du problème n’est donc pas l’arrêt de l’économie mais la reprise asynchrone et désorganisée des économies.
Cette reprise n’est pas générale et organisée sur le plan mondial mais elle est propre et unilatérale à chaque nation.
Chaque nation est souveraine et nous avons tous vécus des reprises partielles des re-confinement globaux, partiels, des coiffeurs qui sont prioritaires ici et qui sont fermés la bas, des librairies fermés et des plateformes de Market-Place qui fonctionnent à plein régime.
C’est là ou le bât blesse. L’économie est mondiale et la reprise est nationale.
Compte tenu de la mondialisation de la production des matériaux il en résulte une distorsion entre ressources et approvisionnent que nous sommes en train de vivre au quotidien sur nos chantiers.
En sus de cette désorganisation mondiale, nous avons un engagement national et européen sur une réduction des gaz à effets de serre et des logiques de développement durable
A cette inadéquation actuelle entre l’offre et la demande, s’ajoute l’urgence climatique et les exigences de l’accord de Paris sur le Climat.
Je rappelle que cet accord a été adopté par 196 parties sur 197 lors de la COP 21 à Paris, le 12 décembre 2015 et est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Son objectif est de limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°, de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel.
Pour la France, deux paliers sont importants dans cet accord
Comme l’exige l’accord, l’UE a présenté sa stratégie à long terme de réduction des émissions et ses plans sur le climat actualisés avant la fin de 2020, en s’engageant à réduire ses émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030.
L’UE et tous ses États membres ont signé et ratifié l’accord de Paris et sont fermement déterminés : ils s’engagent à ce que l’UE devienne la première économie et société neutre pour le climat d’ici à 2050.
La combinaison de ces deux événements, pénurie de matériaux et engagement climatique, fait que nous sommes actuellement dans une production de la construction instable, un état gazeux comme dit le DG de la fondation jean Jaurès Gilles Finchelstein:
- Gazeux par ce qu’elle est explosive, nombre d’entreprise au sens large peuvent chuter
- Gazeux par ce qu’elle est volatile, elle est imprévisible financièrement et temporellement
Cet état de la construction est aussi instable par ce que le gouvernement met la pression pour :
- Inciter à la rénovation énergétique des logements et des bâtiments
Avec les opérations « ma prime rénov » les budgets alloués dans la cadre du plan de relance sont de 2 milliards pour les bâtiments publics et 4 milliards pour les logements, le gouvernement table sur 2030 sur 700’000 logements réhabilités… ils ont été de 40’000 en 2020…
- Construire bas carbone pour les nouvelles opérations avec la RE 2020 qui entre en vigueur en janvier 2022
Pour rappel l’activité du bâtiment est répartie a peu près pour moitié entre le neuf et la réhabilitation. Le cout global de la rénovation d’un logement est en moyenne de 40’000 €
Que le gouvernement veuille passer de 40’000 logements à 700’000, cela veut dire une augmentation de chiffre d’affaire de 28 milliards € de travaux supplémentaires pour la filière tous les ans soit + 20 % (Pour mémoire le chiffre d’affaire du bâtiment elon la FFB est de l’ordre de 148 milliards HT en 2020)
Pour ce donner un ordre de grandeur :
- Cela représente 280 Millions € de travaux par département
- 7’000 logements rénovés par an et par département (pour exemple il s’est construit par an environ 4’000 logements dans le département du Rhône)
- Ou la moitié des travaux que génèrent tous les architectes de France chaque année.
C’est donc un gisement de croissance important. Un logement réhabilité c’est 2 emplois créés.
En plus de la pénurie liée au redémarrage asynchrone des économies, cette poussée sur le marché de la rénovation entraine :
- Une raréfaction des matières premières
- Une pénurie liée à des phénomènes de déstockage
- Une inadéquation entre l’offre et la demande liée à une désorganisation mondiale en lien avec les reprises inégales d’industries interdépendantes.
Quelles sont les conséquences de la conjonction de ces deux facteurs :
Les effets immédiats que nous constatons sont :
- Une montée des prix des matières premières et des matériaux
- Un allongement des délais d’approvisionnement.
- Une rupture de nombreux produits importés ou dont la composition nécessite des interventions extérieurs qui font défaut
Ex de l’automobile, des semi-conducteurs….
Alors comment pouvons nous anticiper ces soubresauts dans nos activités ?
Pour la FFB, Olivier Salleron lors de son congrès national déclarait vendredi dernier que 30% des chantiers pouvaient être stoppés au 2eme semestre 2021 du fait de la pénurie de matériaux.
Afin de ne pas tomber dans le piège de cette pénurie, les maitre-mots vont donc être adaptabilité, anticipation, bienveillance et analyse des marchés de travaux de tous les acteurs de la filière, maitres d’ouvrage, maitres d’œuvre et entreprises
Il faut communiquer
- Adaptabilité
car pour les chantiers en cours, il va falloir rivaliser d’ingéniosité pour gérer les plannings et trouver des séquences de travaux liées aux approvisionnements. Cadencement, séquencement, gestion des flux au sein du chantier sont primordiaux. Cette situation va surement entrainer des dérapages des délais de réalisation. Il faut donc instaurer immédiatement un dialogue tri partie, en toute transparence entre Maitre d’Ouvrage, Maitre d’œuvre et entreprises pour évaluer l’impact des dérapages, impact temporel et financier.
- Anticipation dans les commandes
de la part des entreprises et surtout dialogue avec les distributeurs qui doivent reconstituer les stocks manquants, approvisionner les chantiers et faire un sourcing permettant de diversifier les sites et le lieux de production
- Bienveillance des donneurs d’ordre
qui doivent comprendre la situation et ne pas appliquer de pénalités retard aux entreprises qui font preuve de bonne foi.
Sur ce volet le ministère des finances (Bruno Le Maire) avec ceux du Logement (Emmanuelle Wargon) et des PME (Alain Griset) ont annoncé la rédaction ce mardi 15 juin d’une circulaire permettant aux entreprises de ne pas être pénalisées sur les marchés de l’État et ils invitent les collectivités à faire de même.
Il est donc invoqué le cas de force majeur.
Mais attention cela n’est pas transposable automatiquement aux marchés privés ce qui amène le point suivant :
- Analyse des contrats de travaux.
les entreprises, tant dans la maitrise d’œuvre que celles de travaux doivent analyser correctement les marchés de travaux pour :
- 1 détecter toutes les clauses léonines qui pourraient les contraindre à exécuter un marché dans un délai alors qu’elles n’en n’ont pas la capacité de le réaliser dans les délais prescrits
- 2 avoir la possibilité de sortir des marchés sans les démarrer. A l’impossible nul n’est tenu : La FFB craint des dépôts de bilan et des refus de redémarrage d’opération
- 3 vérifier les clauses d’indexation des marchés en fonction de la hausse des prix des matériaux
Cet état de pénurie amène aussi en corollaire les questions et les réflexions suivantes sur:
- La question de la relocalisation des industries de production des matériaux de construction du fait de l’explosion des couts de transports (x3 depuis le début de l’année, il es quasi impossible de trouver des containers actuellement)
- La structuration des filières de production des matériaux comme par exemple celle du bois depuis les zones de plantation celle de la variété des essences en relation avec l’ONF jusqu’à la constitution ou l’organisation des filières de transformation ;
- La formation initiale et continue des jeunes dans les filières de production industrielle et dans les métiers du bâtiment. Cette structuration prendra au moins 5 ans entre l’élaboration des programmes, le recrutement des jeunes ou la reconversion de plus anciens, leur formation et leur insertion sur le marché de l’emploi à l’horizon 2026-2028…
- La prise en charge de l’activité partielle ou du chômage technique par l’Etat pour les entreprises ne pouvant pas réaliser leurs travaux
- Enfin comment gérer les 11 millions de logements collectifs qui vont être classés en catégorie F du fait de l’évolution de la règlementation thermique ? comment les syndics vont gérer les copropriétés passoires thermiques qui seront exclues des opérations de rénovations énergétiques et qui va financer les travaux ? (jean Marc Torillon pdt Fnaim)
Nous voyons donc qu’au travers de cette pandémie et de ses conséquences sur les pénuries des matériaux, se dessine en fait une vraie question sociétale sur la gestion de la production du logement et de la construction, de la souveraineté et de l’indépendance de toute la filière du bâtiment
Nos gouvernants et nos chefs d’entreprises doivent avoir une vision culturelle et vision politique de la construction et de la rénovation. La construction est bien commun et il faut que ce soit économiquement et socialement faisable de construire tout en incluant une réindustrialisation de notre pays et une politique de formation volontariste et une intégration de tous les citoyens dans le développement durable.